Ombres et pétales
Journée d'école à Pont du Loup, et visite à Jean, jeune prof de trente trois ans dont je suis la "tutrice". Sur le papier. Dans la réalité, ça veut dire surtout prodiguer suffisamment d'encouragements pour éviter épuisement et interrogations déchirantes sur soi, à cet âge et à ce moment précis de la formation.
Dire très simplement qu'il est normal de ne pas arriver à faire le lien entre le travail du début (seulement prendre un contact satisfaisant avec des classes) et le suivant (se demander comment arriver à rendre réelles et concrètes toutes ces séances préparées pour deux niveaux, CP compris, pour tous les jours-tous les jours-tous les jours, pour toutes les disciplines).
Plus dormir ou s'éveiller à quatre heures, avec l'angoisse.
Jean semble tenir. Tout juste, vu la couleur cendre que son visage a adopté. Mais il tient. Le moment est très difficile à passer, qui joue avec l'ego et l'image de soi, et les fondations qui ne seraient pas bétonnées sévèrement sont en vrai danger, je veux dire un danger d'effondrement même.
en attendant, je remonte les vallées jusqu'au plus sauvage. Ici le Loup, se déversant entre chaque falaise, est une sorte de torrent dramatique. et sincèrement, je ne m'attendais pas aux choses que je découvre brusquement, tournant après tournant : une sorte de pays sublime et torturé, plein de la folle et brusque énergie de l'eau déferlante. Jusqu'à dans la classe de la petite école tapie près du monstre, on sent les vibrations intenses de cette force qui hurle.
Et tournés droits vers le ciel, les versants noirs des montagnes...
Pour Eléonore, le problème réside surtout dans l'ensemble d'énigmes, comment écrire tous ces mots. Au bout d'un moment le coin de la classe où je me tiens se transforme en une mini salle de conférences où en chuchotant nous examinons une à une toutes les possibilités sonores des hiéroglyphes du français, avec toutes les versions possibles de leur explication. Argument après argument, la jeune habitante du Pont me démonte toutes mes idées, et je commence à déprimer grave... Pour me rendre compte que la seule interprétation opératoire pour elle est celle du "c'est comme ça", que, en désespoir de cause, je lui ai exposée gentiment. Le "c'est comme ça "lui va très bien.
Après tous ces échanges de confiance et d'amitié, Eléonore a subitement un revirement vers l'espace temporel de son âge, et me dit, presque résignée: "je vais te faire un dessin",comme si c'était politesse et courtoisie de ne pas continuer ainsi de se rendre compte qu'on est exactement sur la même planète toutes les deux.
Celle des excentriques.
Donc elle m'a fait un dessin. La fleur a de très beaux pétales,et la peinture, épaisse et vivante, semble une métaphore très dense de l'eau qui, à quelques dizaines de mètres, descend violemment de la montagne. Mais je lui montre aussi les pétales noirs.
"C'est pas des pétales, dit-elle, c'est des ombres".
Dire très simplement qu'il est normal de ne pas arriver à faire le lien entre le travail du début (seulement prendre un contact satisfaisant avec des classes) et le suivant (se demander comment arriver à rendre réelles et concrètes toutes ces séances préparées pour deux niveaux, CP compris, pour tous les jours-tous les jours-tous les jours, pour toutes les disciplines).
Plus dormir ou s'éveiller à quatre heures, avec l'angoisse.
Jean semble tenir. Tout juste, vu la couleur cendre que son visage a adopté. Mais il tient. Le moment est très difficile à passer, qui joue avec l'ego et l'image de soi, et les fondations qui ne seraient pas bétonnées sévèrement sont en vrai danger, je veux dire un danger d'effondrement même.
en attendant, je remonte les vallées jusqu'au plus sauvage. Ici le Loup, se déversant entre chaque falaise, est une sorte de torrent dramatique. et sincèrement, je ne m'attendais pas aux choses que je découvre brusquement, tournant après tournant : une sorte de pays sublime et torturé, plein de la folle et brusque énergie de l'eau déferlante. Jusqu'à dans la classe de la petite école tapie près du monstre, on sent les vibrations intenses de cette force qui hurle.
Et tournés droits vers le ciel, les versants noirs des montagnes...
Pour Eléonore, le problème réside surtout dans l'ensemble d'énigmes, comment écrire tous ces mots. Au bout d'un moment le coin de la classe où je me tiens se transforme en une mini salle de conférences où en chuchotant nous examinons une à une toutes les possibilités sonores des hiéroglyphes du français, avec toutes les versions possibles de leur explication. Argument après argument, la jeune habitante du Pont me démonte toutes mes idées, et je commence à déprimer grave... Pour me rendre compte que la seule interprétation opératoire pour elle est celle du "c'est comme ça", que, en désespoir de cause, je lui ai exposée gentiment. Le "c'est comme ça "lui va très bien.
Après tous ces échanges de confiance et d'amitié, Eléonore a subitement un revirement vers l'espace temporel de son âge, et me dit, presque résignée: "je vais te faire un dessin",comme si c'était politesse et courtoisie de ne pas continuer ainsi de se rendre compte qu'on est exactement sur la même planète toutes les deux.
Celle des excentriques.
Donc elle m'a fait un dessin. La fleur a de très beaux pétales,et la peinture, épaisse et vivante, semble une métaphore très dense de l'eau qui, à quelques dizaines de mètres, descend violemment de la montagne. Mais je lui montre aussi les pétales noirs.
"C'est pas des pétales, dit-elle, c'est des ombres".
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