Oiseaux
Ce soir, mes visiteuses tourterelles, Yksi et Kaksi, mangent quelques grains de riz dans le creux de ma main. Je vois qu'elles ont soif, car elles tentent vainement (à cause des pigeons) d'accéder au reste de la grande flaque sur le toit du bas qui a l'avantage, pour les chats et les oiseaux, d'être tout flexuré. Donc de fournir une respectable réserve d'eau pour les jours de sécheresse.
Elles ont soif, mais lorsque je mets un récipient à leur portée, elles s'éloignent, apeurées. Leur degré de confiance n'est pas encore suffisant pour qu'elles acceptent de moi une nouvelle forme ou une nouvelle couleur. Parfois ça m'énerve, mais à d'autres, je me souviens que c'est pour ça qu'elles sont encore en vie.
Plus tard, j'assiste au divertissement gratuit de la leçon de vol des jeunes goélands. J'ai à peine le temps de m'étonner que cela se déroule si tard, fin juin ! Sont-ils attardés, ces deux petiots-là ? Pour me souvenir qu'il n' y a vraiment pas longtemps, on passait ou surveillait les examens dans les amphis avec nos polaires sur le dos J . Le cycle a dû être pas mal retardé cette année.
Cela se passe toujours de la même façon : les jeunes, grisés avec des lignes noires, sortent du nid et passent un certain temps à faire monter la tension entre eux, en jouant, en se battant en se menaçant. Enervés, ils ont alors envie de s'enfuir, de voler, de quitter cet espace restreint et toujours le même. Le ballet commence par des allers retour du bord du toit à l'autre bord du toit, en faisant flap flap flap de leurs immenses plumes, quelles merveilles ces oiseaux.
Les deux parents, stoïques, et semble-t-il animés du plus grand investissement dans les obligations de la « prime directive » star trekkienne (non ingérence), se placent sur des positions stratégiques de part de d'autre du toit. Régulièrement l'un ou l'autre ou les deux traversent en volant et en criant l'espace juste devant le nid, ce qui évidemment provoque à la fois le désir, la terreur et le désespoir de leur progéniture. Je me mets à leur place : je m'imagine face à ce vide, forcée de, un jour ou l'autre, sous peine de mort, m'élancer là-dedans sans savoir si ces machins vont bien me porter ou si je vais lamentablement m'écraser dans l'arrière-cour de M. Goirand, le locataire du rez-de-chaussée.
Swwwwwissssh fait le père (ou la mère). Swwwwissssshh, fait la mère (ou le père). Avec patience. Pendant des heures. Résignés à n'être que des modèles, résignés à refaire demain la même danse pour qu'enfin un soir pichoun et pichoune prennent leur vol.
Ce soir, c'est pas le Grand Soir. Les deux goélandets, visiblement terrifiés et épuisés, ont arrêté leurs mouvements et leurs bagarres. Ils se serrent piteusement l'un contre l'autre, et tremblent. La nuit tombe bientôt.
Prochain cours demain.