Le Grand Respir de Mathieu Boily
J'ai longtemps attendu pour l'avoir, ce recueil, de la France ce n'est pas très facile, je ne connaissais pas encore la librairie québécoise de Paris et pour être même tout à fait franche, je ne savais pas qu'il existait un prix
Nelligan.
(Non, amis québecois, pas sur la tête.... )
J'ai été un peu surprise.
Il me semblait connaître, par son écriture, un autre Mathieu Boily (de loin, bien sûr, sur le net, donc pas vraiment). Les textes que j'avais lus de lui étaient notablement plus longs et beaucoup moins distanciés, ils semblaient prendre comme principe premier de chercher à la racine des choses et des gens, de manière tout à fait remarquable.
Les textes du " Grand Respir " sont différents : le profond, la racine, existent bien, mais ils n'apparaissent qu'en affleurements presque inconscients, l'auteur avance masqué, mais c'est ce genre de masque que l'on met pour seulement oublier l'apparence de l'être et montrer le centre.
Aussi, le rôle du cercle des saisons et de la transformation de la nature est encore plus primordial que dans les textes ultérieurs où c'est surtout le détail du quotidien et le regard que Math Boily y porte qui tient lieu de "décor".
"sur l'autoroute l'écho de la mer comme un oiseau
plus loin on chemine dans un léger brouillard orange
la porte d 'un bar se met à bailler
un corps serré vient de passer sur mon ombre
j'ai Marie Uguay dans une poche
et une haleine de prophète pour ce qui restera d'éveil
le large est venu perdre quelques plumes ici"
quand même en relisant ce texte, je me dis que cette écriture est extraordinairement concentrée, extraordinairement efficace et exacte.
"une haleine de prophète pour ce qui restera d'éveil"
c'est sublime...
Pour écrire comme math il faut pouvoir dire des sentiments simples avec des mots simples et qu'ils éclatent dans le simple de l'être comme un boulet de canon; ça paraît simple, mais ça ne l'est pas du tout:
je ressens cela, mais non c'est encore beaucoup trop à la surface, plongeons. Là, il y a encore les habitudes, les modes, les usages, les bienséances. Là, le subconscient, les pulsions, les complexes, les racines. Il faut aller encore plus bas, encore plus loin, encore plus simple
et là j'y suis.
Mais si les représentations sont déconstruites sans pitié, et on imagine bien Math Boily vidant ses représentations à la poubelle, les mots, eux, sont choisis, rechoisis, re rechoisis pour ce qu'ils évoquent et surtout pour ce qu'ils n'évoquent pas. En tout cas, pas pour leur beauté, ni leur couleur, ni leur son, seulement pour leur vérité crue, et même ces mots de vérité crue sonnent faux. Et puis encore travaillés retravaillés pour qu'ils se débarrassent de leurs images, leurs habitudes, leurs modes. Des mots sans sensualité et pourtant qui touchent, sans images et pourtant qui
éblouissent .
Le chemin du non détourné.
Isabelle Servant , le 18 juin 2002