La méthode Stanislavsky, de Claire Legendre
(14 juin 2006)
C’est vraiment mal tombé, c’est le cas de le dire : Claire Legendre venait de publier son bouquin, et juste à ce moment-là, alors qu’elle allait entrer dans une phase de célébration, et que ce serait sûrement magnifique d’aller à ce spectacle au théâtre de l’Alphabet, belle boîte blanche et chaleureuse… vlan je me fracture la cheville et une partie de la jambe
Adieu, soirée boîte blanche, et sûrement pour satisfaire une vengeance, le livre jaune disparaît au fond de mon armoire, au milieu des dictionnaires de musique, c’est dire s’il a peu de chances de ressortir tout de suite.
Et puis, après quelques semaines de plâtre, immobilisation, kiné, douleurs et impatience, je le ressors, épais et jaune…
C’est drôle quand même, cette idée que j’ai, en permanence, d’un lien entre moi et cette méthode Stanislavski, la vraie, pas le livre, pourquoi cela ?
Parce qu’un jour, avec un homme que j’aimais, j’ai fait un stage de mise en scène où tout le monde en parlait constamment ? et que, ainsi, la méthode Stanislavski serait pour la fin des fins liée à ma jeunesse agissante et belle ?
Ou bien parce qu’elle parle d’identité, d’être réellement ce qu’on est en train de dire qu’on est, ou pas, et de parler vraiment, et si parler vraiment est vraiment une image approchée de ce qu’on est vraiment, ou pas, ou juste une connerie de snob poète ou riche ou les deux ?
Je ne sais pas… en tout cas, page après page de ce livre, j’ai une impression extrêmement puissante de dimensions cachées, de beaucoup de choses complètement fondamentales et essentielles qui sont, non pas dites, mais inférées, une succession de plans multiples. Comme lorsque quelqu’un vous dit plein de petites choses, et que vous sentez qu’il tend à vous dire autre chose, de plus important, mais vous ne savez pas quoi.
Très audacieusement je comparerais volontiers, de ce point de vue, Claire Legendre à Jane Austen, qui a le toupet de raconter, à l’époque des guerres de Napoléon, des choses aussi futiles que le brutal changement d’opinion d’une jeune femme (dans « orgueil et préjugés » par exemple). Et pourtant, Jane Austen est une très grande, et aux pires moments de l’existence, ce sont ses romans que l’on relit. Parce qu’ils y parlent de l’humain des profondeurs.
Donc voilà, la méthode Stanislavski est un livre superbement construit (une nouveauté pour moi, j’avais le souvenir d’une architecture moins maîtrisée dans « Matricule ») qui n’arrête pas de vous promener entre les réalités et les points de vue divers et les mises en abîme, le meurtre réel qui est raconté dans une pièce autour de laquelle il y a aura un meurtre, la romancière qui joue le rôle de la narratrice qui est racontée par l’auteur qui….
Et les personnages de composition : la chaleur, l’Italie.
Aujourd’hui, ma cicatrice joue son rôle de cicatrice, elle se cicatrise, et je l’ai enfin lu, ce livre après l’avoir extirpé du coin des dictionnaires.
Et je l’ai vraiment beaucoup aimé.
Mais il continue à m’habiter encore, comme une question posée avec obstination, et qui sait qu’elle a encore beaucoup de réponses à obtenir, dans sa mémoire. Et un jour il découvrira cet espace caché que, dans mon enfance j’explorais toute seule dans ma ville, et qui sont les diverses couches du monde. J’en suis sûre.
La méthode Stanislavsky, Claire Legendre, aux éditions Grasset
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