L\'Insoluble

L\'Insoluble

Instants d'Arbre

 (NB. chacun des textes du recueil a été inspiré par une photographie)

 

 

 

 

Rue de la ville proche. Tu calmes l’épuisement des lampes. Alors que sous la toile mes affres se concentrent, tes lignes pures du regard, un triangle venant des épaules, dessous le bruit pulsé de toute soif. Entre le don et la grandeur.

 

 

 

1.

La joie est un chevreuil déterminé. Timide et discrète, elle fait allègrement la route. Et quand elle disparaît, ce n'est que pour reprendre
un peu de souffle, parce que tout de même, il y a une limite à la résilience. Pour revenir écoutant des éclairs électriques.
Jusqu’à même ce creux des reins du silence. Ce bleu contre les tissus bleus.
Sa façade bleue.

 

 

2.

Peindre ce qui dans le croquis d’une chute évase tout ce qui est déjà de possession.
En attendant il voit des ailes sur les épaules et je ne lui dis pas l’attachement du lumineux sur mon étoffe.
Comme pour l’église, quand à côté j’entends sa cloche, aux saisons des fenêtres.

 

 

3.

Tu circonscris l’étrange. Dans le bleu, c’est un antre. Cet écran de soleil sur les murs, en rire doux.
Comme un aimant qui aurait égaré ses voies, vertes et jaunes, sinusoïdes et jusqu’à l’amontillado des gouttières.

 

 

4.

Les écailles rangées (tes escaliers d’en haut), celles qui étincellent, ont l’air d’orbes filés (d’ailes jetées dans l’angle, de cerfs élaphes).
Je les regarde dans la nuit. Pressées d'une blanche écriture.

 

 

 

5.

On ne dort plus. Le coin pâle et violet de transparence, la volute allumée des arbres. Cet univers dans le lit commun de tendresse. Creusant désespérance, cultivant joie. Jusqu’à quel instant ? Quelle seconde où se déchire ?  

 

 

 

6.

Rouge sur le chemin des anges. Rouge sombre des livres. Rouge orange des lampes. Rouge clair de citrouille. Quand tu repasses au sud, je vois vraiment ces verticales. On dirait le tapis de caverne qui ne sera jamais. Somptueux. Car la honte le rouge, la faiblesse les larmes, lointain la non-valeur géométrique.

 

 

7.

Mon chemin desséché, saturé de buissons. Je teste la distance, si voir au loin ton ombre chère ? Mais tu as raison, le métal aussi étincelle.

Seul me lave le soir, tes grands anciens amoncelés. Et la lune, son disque d’or.

 

 

8.

J'aime ses faim et soif, ses forêts en lumière.
Je vais toujours en inquiétude, en franges flammes, en ouragans. En mes peurs d'indéfinition.
Mais la pluie vivante des arbres !

 

 

9.

L'hiver s'enroule et je m'aperçois qu'il me ressemble comme une paroi fragile d'insecte. Le monde tremble à Coumboscuro, et vers l'océan s'ouvrent des tours, dans la brume détachées du fleuve.

 

Une loi de novembre s'écrit : ceux que j'aime sont loin.

 

 

10.

On me demande si je vais bien. Est-ce qu'on le demande à l'écureuil, au ramier fauve, à l'argynnis aux ailes rousses?
Je vois l'indentation jaune et blanche des pierres, des grenats immanents, les fruits insensés des branchages.
Ton figuier vert de barbarie. La pluie a aiguisé le monde, mon regard change.
Oui je vais bien dans le soleil.

 

 

11.

Quelque chose se passe. Modèles un corps de femme, en pure écorce. Poses un collier sur la peau nue. De Vénus d’Ille. Suppliant.
Et quand le cœur s’arrête, clames le ciel.

 

 

 

12.

Tu construis sans commande. Et sans trahir l’arborescence. Tu dis, je serai l’eau, je serai l’air, l’apaisement. Mes lacs seront le cœur d’une pangée de feuilles. L’or brun et cohérent de ce qui vient.
Je serai fontaine, tu dis.

 

 

13.

Les mouvements sont d'une grande longueur d'onde.
Au loin maintenant, l'univers des montagnes, d'écharpe bleue, inaccessibles.
L'étrangeté me dimensionne, comme tu es l'ancrage sans lequel je ne vis pas.

 

 

 

14.

la terre est rouge ici
l'essaim filant des cruautés passe la vitre
je vais m'asseoir au bord de la rivière
au loin tout près de ton eau verte
du livre bleu de tes estampes

une encre escarpe des nuages

 

 

 

 15.

il a peint de l'argent où il y avait mes larmes
séparé les atomes du ciel
marché parce que le jour est là
ne dit que force incompréhensible des liens
...
parce qu'en me retournant vers ces larmes
je ne trouve rien d'autre qu'eux
non
vraiment rie
n

 

 

 

16.

toutes tes merveilleuses couleurs de feuille

dans l'univers en cendres et le désert brûlant...

j'ai l'impression d'un faible écho de quand la vie était

- et leurs voix aussi, Aurélien, Barbara -

c'est terminé tout ça

toutes tes échancrures dans le flanc de tristesse

 

 

 

17. Pour toi, je suis allée vers la machine de métal gris, celle qui réchauffe et qui parlait pour mon silence.
Et pour toi la question bleue d'un regard, compréhension intime et retournée de nos douleurs très lentes ou telluriques. De nos épuisements. Ou de nos larmes.
Mais je m'éloigne ...Toucher de loin ces larges murs tendus d'infinité sous les séismes.


Rapidement je calcule des dimensions mathématiques pour te recouvrir de soleil.

 

 

 

18.

Qui aurait cru jamais dans la précieuse trame des images (oh le corps brun et souple) qu'une avenue traverse aurait saisi tes mains. Tes mains de blé, de maçonneur. Et puis doucement dans les paumes aurait posé ma vie à l'hôpital des espérances.
A l'atelier de réparation.
Dans l'intérieur des feuilles où se concentre la couleur, j'aurais trouvé la force et
Seule
je serais dans la ville
à la source d'argent, rue de la Mule Noire.

 

 

 

19.
Les arbres sont en dormance. Tout partagés, soudain, entre le brun et l'or.
Ou bien nus, et la fleur de leurs membres épanouie vers les nuages.
C'est beau.
Je me demande si les bourgeons font des écailles, ou bien si simplement
ils auraient décidé de vivre.
Vivre si près sur la colline à la saison où le soleil,
incrusté dans le bronze, apparaît.

 

 

21.

On dirait un maître flamand.
On dirait qu'au fond de l'eau la profondeur s'étire.
On dirait des visages disséminés. Avec la mort.
On dirait du refus, du rejet, de la révolte, des feuilles vertes.
Mon refus, mon rejet, ma révolte, mes feuilles.
Ce que l'extrême beauté finit de dire, là, sous les  lanières.

 

 

 

22.

Ce mouvement vers la hauteur encrée du ciel, c'est, encore, lorsque la tragédie veut passer,
mais que les pensées calmes, aimantes, de l'heure, ont plus à donner que l'angoisse. Il faut dire que le chant d'un crapaud, comme une flûte exilante, y trace une polyphonie, claire, inoubliable.

 

 

 

23.

regarde ce que tu effleures des doigts
la chair brunâtre et rouge, or et feu, la terre humide,
ce qui brusquement prend logique, une inaltérable logique de quand tu es plus loin
non, la beauté, ce n'est pas là

je le comprends aussi
c'est autre
comme murs chauds d'une maison détruite
la Feuille, toujours,
l'Arbre, aimé,
voilà c'est la fresque des morts et ceux qu'on touche
infiniment plus larges à la lampe étendue
d'or et de feu couverte
tremblant


 

24.

un alcool bleu une onde grise
où la pente et sa courbe ont la froideur des dunes
c’est un chemin où l’eau qui tombe mais de cristal
s’éloigne sans prévenir de la douceur
et des pierres continentales délavées par le sel
ressemblent à s’y méprendre à la terre

 

mes souvenirs couverts de larmes

 

revenue au bord de mon passage
je reposais un moment mes difficiles futurs
sur le côté de l’Arbre et ses visions
il y avait rivages, maisons, brouillards
ses oiseaux et ses grains luisaient
a donner presque de la pluie
dans le mouvement de sa joie

 

 

 

25.

Puis je me dis c'est où la frontière? Quand est-ce que des mots sont poèmes,
des images tableaux? A quel endroit du prisme?
L'émotion bouleverse, une résonance de lumière -de ce qui n'est
qu'un arbre - fait déferlante. Qu'ai-je vu ici, dans les tresses ?  
quel relief de fureur, page interne d'amour, reliure, mouvement, visage?

 

 

 

26.

on se demandera c'est quand

à quelle minute seconde

il est devenu lui a déchiré le masque

à quelle minute seconde

le sang les morts les libertés

 

on se demandera c'est quand

 

et de l'empreinte sacrée des deux mains sur la terre

des vibrations sacrées

elles viendront en silence toujours

douces

les collines frêles

 

 

 

27.

Je reviens sur les lignes bleues d'une barque.
Un homme descend l'escalier, et dans cette chose simple,
il descend, voici que naît une gerbe d'écorces.
A la marge un fantôme haï. Au coeur la transparence.
Je veux aussi mes écritures, ces codes si difficiles qui me disent toujours que je suis perdue, à jamais.
Il faut tes surfaces longitudinales pour ramener dans le corps mon souffle
dans le cuivre des lampes chaleur
dans les vagues tranquillité.

 

 

28.

 

c'est impossible de plus transfigurer
je me dis
sauf dans cet antre de lumière
- your Juliet's balcony, prancing and light -
pourtant il n'y a plus ni chaleur ni richesses
mais des millions et des millions de gens fragiles
aussi fragiles qu'ici
où il n'y a plus d'eau ici
plus de stable
où je passe dans tes couloirs sur tes bateaux
sur tes collines

où je serre les dents
me demandant si la mort est bien là, si proche
et si même après elle
je t'entendrai encore ?

 

29.

 

c'est oublié
lointain
dans le passé profond des armes
il y avait un glaive
- il y a si longtemps quand je peinais moins à survivre -
et rouge sombre avec épines claires
avec sillon creusé de sang

où tu étais vers cette porte lourde, cette abbatiale jaune
dans le passé profond des armes
il y a si longtemps

le temps du Nord
et des implications magnétiques

 

30.

tous mes oiseaux, tu vois
tous mes oiseaux
qui viennent boire
ils ont ces larmes de rosée
ces aubes blanches
parce qu'une fleur, tout à coup,
minuscule
est venue se poser sur les bords d'un programme
et patiemment
a démêlé ses fils

on aurait dit l'avènement d'une révolte
l'éternalité d'un fleuve
et la terreur sacrée d'une ouverture

 

31.

les arbres se détournent
lacs et poussières
ont déposé leurs traces
impriment en éternel
de longues ondes chiffonnées
ils sont devant
dans l'ombre
où mes mains et mes bras
dévient l'angle du sol et prient pour leur lueurs
ils sont mon doute
et ma computation des eaux
ma résolue déchirée dissidence
et l'arme grise de mon corps

 

 

 

32.

je suis comme un linge plié
un drap de lin comme un mouchoir
d'étoiles
ma ligne de crête est toute étroite
ses vallées absolues


l'aile des nuits

 

la joie

 

intense

 

 

 

Isabelle Servant, été 2017-mars 2021

 

 

 

 

 

 

 

 



15/09/2017
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