Dualités
Dualité 1
Je ne peux pas dire que mon impression est univoque. Je suis heureuse d'être ailleurs, loin, dans l'air froid,
reliée au sauvage, le sauvage en moi relié à ce qui, à l'extérieur, l'est aussi.
Mais je ne peux pas m'empêcher de remettre en cause l'artificiel, la facilité d'approche, avec les barrières.
Même si celles-ci mesurent un univers de plusieurs centaines d'hectares.
Qu'est-ce qui me différencie, foncièrement, de quelqu'un qui joue à Westworld?
Dualité 2
Ici, la nuit n'est pas la nuit. J'ai beau jouer à faire semblant d'être dans le même monde que les cerfs, eux ne font pas
semblant. Leurs tensions sont réelles, l'énervement qu'ils vont tuer quelqu'un si quelque chose ne se passe pas très vite (et je ne sais
même pas ce qui m'arrive, juste que j'ai envie de me battre, et bouger, et me couvrir de boue et de poussière, et je ne sais pas).
Les brames tissent une étoffe sur toute la vallée tectonique, toute la nuit, tout le temps.
Et ici la maison de toile n'est pas une maison. Elle a beau être confortable et faire un peu peur aux citadins, les sortir
une seconde de leur confort absolu d'eau courante et d'électricité, c'est juste une tente.
Et dans une tente on entend le vent, glacé, fort, à grandes vagues, les bords de la toile qui claquent, les phacochères qui viennent voir au pied des pilotis si par hasard
il y aurait quelques racines. Un maëlström de bruits terrifiants. Pas plus, pas moins, que les terribles humains des petits matins qui nous tueraient
si on ne se protégeait pas.
Mais juste on se rappelle que les diurnes, quand la nuit arrivent, ils se terrent et ils ont peur. Du vent. De l'orage. Du troupeau
des bisons énormes. Des cerfs qui ont perdu la raison à l'équinoxe. Des tout mignons marcassins qui sont le prélude à l'arrivée d'une mère caractérielle (mais pas
plus que moi dans ce rôle).
Finalement, alors que je ne supporte pas le bruit des villes, je m'endors avec un sentiment de fatalité, et d'exactitude.
Pour me réveiller à l'aube.
Dans le silence du jour.