Les câbles sous la mer
Lorsque la petite musique des notifications retentit, dans les réseaux du net, avec leurs câbles sous la mer, on a un peu de tout: des morts, beaucoup de morts, des ciels gris, des copeaux sales, des jeux de pouvoir, des jugements, beaucoup de jugements.
Mais parfois on a une vie.
Alors Ange se pose auprès de moi, juste à la mi-seconde entre les battements de mon coeur, sa lumière en deux bandes tendres sur le ventre. Ange ressemble à Jeanne, le jour de ses sept ans, avec son nez en trompette et ses pommettes hautes, avec ses lourdes volutes de cheveux bruns. Et même si la fleur ronde et blanche n'est plus depuis longtemps que cendres, elle est là sous mes yeux.
Et si je ferme les yeux, elle est là.
Mais si je meurs, elle n'est plus.
Alors longtemps, comme Mathieu de l’autre côté de l’océan, je m'éveille de bonne heure, et je vais à Genova, aux Staglieno, son cimetière, les deux mains plaquées sur les oreilles. Dans les galeries de statues surpeuplées il y a tellement d'anges que de leurs bruissements sourd un fracas qui m'étourdit.
Et les jours et les nuits sont ainsi dans la peur.
Peur de rater quelque chose.
Peur de ne pas comprendre de quel côté le regard s'est posé.
Peur de ne pas avoir la force de conserver intactes, côte à côte, la vision et la vision de la vision.
Quand je repars enfin, un petit ange gourmand me tend la main dans un sourire, et dans sa main les visiteurs mettent des baies pour les oiseaux.
Mais le temps m'est compté, la vie m'est déchirure.
Car les baies rouges du petit ange, nourriture pour les oiseaux, sont en réalité du poison pour les hommes.
Car lorsque je m'éveille à cinq heures avec Mathieu, il n'est pas cinq heures pour Mathieu, il est bien avant.
Car Jeanne n'aura jamais sept ans.
Car je ne sais pas être une présence distance.
"La perte est irréparable", voilà ce que disent les câbles sous la mer.