L\'Insoluble

Je me souviens qu'une année, en juillet, il a fait froid.

Oh, ça n'a pas duré longtemps, car voyez-vous, la Provence, le mois de juillet, le froid, ça ne va pas bien ensemble. Mais cette année-là, le mistral avait décidé de s'installer pour dix jours dans la plaine. Et de souffler, de souffler.

Histoire de montrer son pouvoir. Qu'il pouvait, comme ça, là, d'un claquement de souffle, faire venir l'hiver. Et on aurait tous dû se douter que si le mistral avait décidé de faire venir l'hiver, c'est qu'il se passait quelque chose de spécial.

Mais non, on a tous continué de rire, de chanter, de danser, comme si de rien n'était, comme si on était en juillet pour de vrai et que la chaleur était étouffante, comme d'habitude en juillet en Provence. On a tous continué de vivre, de faire des choix, de faire des non-choix, de se tromper, d'être heureux.

Alors que le mistral, lui, faisait venir l'hiver.

Par exemple tu imaginerais des nuits bleues immenses et douces, dans la colline de Valréas. Une longue silhouette souple aux cheveux longs, qu'on nommerait Parpalhon, ou l'Archange, aurait pris dans ses mains une vièle, aurait improvisé longtemps des chansons tristes dans le noir, et ça nous aurait fait rêver, étendus dans la chaleur de la nuit.

Mais non. Parpalhon n'était pas souple, il avait mal au dos et le froid glacé du vent de la nuit lui faisait si mal qu'il arrivait à peine à se lever. Et le mistral se renforçait encore.

Ou par exemple aussi on se serait tous réunis autour de Tennevin. Il aurait commencé un de ses contes. Un petit garçon travaillait dans un magasin. Un jour, il va pour ranger les marchandises dans l'arrière-boutique parce que sa patronne lui a demandé. Et là, il se rend compte que l'arrière-boutique, ce n'est pas une arrière-boutique, c'est un escalier. Qui descend. Et qui est si long, si long qu'on n'arrive pas à voir de là-haut à quel endroit il plonge. Le garçon aurait alors descendu l'escalier et...

Mais on claquait des dents, enveloppés de châles.

Ou encore on aurait fait des balletti. Des tonnes, des mouloun de balletti. Toute occasion dans la journée aurait été bonne, et si on faisait un balletti? Le soir, on fait un balletti? Après le chant commun, tous les matins, petit balletti ? Et tout le monde aurait dansé, et certains plus que d'autres, par exemple Denis qui avec son corps et avec les sons avait signé une sorte de pacte, et toutes les jeunes femmes auraient voulu très fort danser la valse avec Denis.

Mais il faisait froid, parce que le mistral, pendant quelques jours, avait ramené l'hiver.

Oh, ça n'a pas duré longtemps, la vengeance était proche et vers le 14 juillet, l'été a dit au mistral, bon, dis, ça va bien un moment.

Viha.

Et l'été s'est posé, tranquille, il a allumé tous les incendies des collines, et l'air a enfin repris sa texture naturelle, genre tu n'ouvres pas la bouche parce que sinon tu vas étouffer, mon ami.

Mais pendant un temps il aurait fait froid en juillet.

Un froid vivant et chaud.

Un froid d'été.