L\'Insoluble

L\'Insoluble

Toujours Devenir

 

 

je déclare immobile ce temps

où l'affection décide

irriguer du sang vif des feuillages son antre, ou ne plus être

 

elle a l'éternité

 

mais c'est étrange cette échelle de puissance

où ma vie vaut plus qu'une loi dépendante

et pourtant

également plus que ce renoncement

 

en attendant

 

je scrute la splendeur du visage et des lèvres

j'écoute la voix qui déforme

j'écoute la voix qui rassure

sa manière éblouie dont elle dit la boucle de départ

 

que l'affection est bien

ce rassemblement de douceur

qui met dans l'arbre

feuille par feuille,

révérentes,

son identité

 

---------

 

 

certains jours la beauté exige le droit d'infuser

 

par exemple

je voudrais creuser loin dans la terre

dans le temps et la profondeur

dans la stabilité

dans la paix en moi

et l'écoulement direct de la force

 

-------

Je regarde la terre. Et je regarde le ciel.

 

Car les gens font souvent une différence entre les deux. La terre. Ce qui est matériel, lourd, douloureux. Plein. Je lave le riz, les légumes. L'odeur de ce parfum d'agrume. Mon corps parfois malade, fatigué. J'entends la voix du chanteur, grave, mais aigue aussi. Mes tendinites quand je joue. J'ai froid. La pluie d'hiver sur mes cheveux mouillés par la nage.

Et le ciel. Léger, versatile. Mes doutes, ce qui est dans ma joie existe-t-il? La terreur de la guerre. L'espoir du soleil du matin. Les idées, les rêves, les hypothèses, les rangements. L'adresse d'une source.

 

Il y a la terre. Et il y a le ciel.

Ici on ne fait pas de séparation.

Les bandes se sont agencées, souples, l'une sur l'autre. Des arbres mauves, en dormance. Une langue taupe. Une autre couche, granuleuse, d'or fin. Des buissons comme des cheveux fauves.

La poitrine allongée des montagnes. Le ventre allongé de l'air. Les cheveux gris des nuages. .

Le plomb des brumes. Une nappe.

 

L'image du paysage, dans la montagne douce à la tombée du jour. Juste à l'ouest du Fleuve.

 

---------

 

j'accepte le vaste pont de ton humanité

 

mais je me dis pourtant

c'est un indien

ou presque?

 

et en réalité je m'en fiche

 

je suis juste en prière

comme sur la Place les Conversations

ton doux ivoire de surface, ta disparition du silence

ta longue furieuse vélocité

tous ces totems

fortement occupés à sauver ma peau

 

ah oui tu dois sourire

 

je suppose que tu dois sourire

et non pas comme lui, non

comme ton vrai sourire

 

comme un lointain pont de confiance

comme un indien

comme un totem

 

-------

 

j'ai retrouvé mon corps

dans une élongation de fortune

et touchée par le froid du printemps

par ces trois jours de glace

où la beauté de la nuit fut indicible

- malgré, malgré le mépris, malgré la négligence -

l'air froid qui touche mon dos

mes flancs

mes épaules

tout ce qui n'est pas habituellement touché par le vent

tout cela se réveille

et dit:

ma liberté

 

 

-------

 

 

à force de naviguer dans les interstices

un jour je vais manquer l'escarpement

et j'aurai l'air fin dans les limbes

 

alors

(imagine)

il ferait une nuit de printemps

je serais le nez au vent à cinq heures

le moment des oiseaux

 

auprès du fleuve, ils dormiraient

mais près de l'autre fleuve

Steven en serait à son trois cent cinquantième exercice de la journée

(et rien que d'y penser

ça m'épuiserait)

 

mais tu ne me renoncerais plus dans les limbes

tu pourrais juste plonger tes grands bras dans la mer

penser à un bateau à voile

 

et quand le Libertad

(par exemple)

y serait bien ancré

tu le mettrais dans mon esprit

tout pur et blanc

 

et puis

 

tu partirais

 

-------

 

oui, c'est l'autre flan de l'été, n'est-ce pas

celui où je marche

dans mes fatigues heureuses

dans ta compréhension tardive

dans les si belles lignes de failles

de ton visage

 

je n'aurais pas imaginé ça!

(la splendeur de la nuit)

quand en écoutant la colline

je me serais décrit à moi-même

le portrait de ton corps

perdu si loin dans les montagnes

 

 

"on ne voit bien qu'avec le cœur"

"l'essentiel est invisible pour les yeux."

 

-----

 

 

aujourd'hui je peux voir

comme l'épaisseur de tes épaules

et dans le blizzard de l'aube qui déforme et surplombe

les murs de ces infinités de kilomètres

je peux voir

je peux certainement voir le ruban de tes routes

 

 

elles me sont si chères, il faut dire

et si utiles

et si précieuses pour que tous les morceaux de l'âme

soient ensemble attachés

 

que je dessine ici, maintenant, les runes des théâtres

de lumière

sur lesquels à jamais

tu chanteras

 

 

 

--------

 

le premier jour du premier mois de la première année

où j'ai marché sans toi

dans les tournoiements de chaleur

 

c'était la joie c'était la fête et je n'arrivais même plus à imaginer

comment maintenant le monde serait si nu

de négligence et de distance, et d'oubli et d'humiliation

comment le monde serait maintenant lavé

mettrait du vin et de l'amour

mettrait des lampes dans les arbres

mettrait des mots et des musiques

tellement signifiantes

qu'elles essaimeraient la rivière

et tanneraient les durs imperméables du loup

 

c'était le jour des rires le jour d'Emma le jour de Tyee

le jour unique de Steven que j'instituerais comme retour

chaque année

 

le jour des pluies et des étouffements

des orages et des gypaètes

des jus de prune et d'aubépine

 

le premier jour

du premier mois

de la première année !

 

 

------

 

 

"Ils sont deux, parfois plus, parfois toute une infinité".

 

Comment dire.

Y a -t-il deux hommes plus dissemblables.

L'un est de jour l'autre de nuit, quelques minutes séparent le moment où l'un se lève, l'autre est couché.

Y a-t-il deux hommes plus dissemblables.

Dans les muscles du corps, dans la forme des mains, dans la hauteur du dos.

La teinte du regard, le tissu des langages.

Y a-t-il.

 

(et puis il y a aussi toi l'ami

 

et tes pâleurs d'ivoire et tes formes puissantes

et dragons aux épaules

 

il y a toi

toi qui deviens)

 

 

------

 

je me souviens de cet abîme à cent vingt mètres

ses âpres flots de mauve et bleu parce qu'il faisait si noir

quand on l'avait appris

et je sais bien qu'il n'y a que toi

pour savoir de quoi je parle

qu'il n'y a jamais que toi

parce que je parle toujours de la même chose

et toi aussi

 

oh je ne vous renie pas, mes autres !

surtout pas lui, cet autre moi

qui défie sombrement, fièrement, le temps qui passe

je vous aime

 

mais c'est juste pour raconter

mon éternelle guirlande d'histoires

qui ferait bien nous réchauffer, un soir d'hiver sur l'île de Mull

dans la tempête

autour du feu et dans le bruissement des bêtes

 

c'est juste pour dire

qu'il y a cette étoffe souple

où sont par centaines des abîmes décrits

dans la lumière du soleil ou la chaleur

dans le bleu des rivières ou le véronèse des arbres

que de l'étoffe toute ma vie est faite

 

et que dans ces abîmes

je pense à toi

 

-----

 

à cet instant précis va se définir l'incrustation

le dessin aigu de ton visage, pour jamais engravé,

est une source d'âme

forêt des roux et des sons bruns et immobiles

tu vas ainsi passer l'aiguille, un fil

porté sur la poitrine

parce qu'ainsi

et tu ne sais faire qu'ainsi

tu montres l'entièreté du monde

à ce que je considère

comme désormais mon impatience

et l'itinéraire bleu de la marche

 

------

 

 

dans la maison de ma pensée sur ma terrasse

et à côté du bois

se tient une statue de brume

 

elle est puissante et longue j'y vois tous les linéaments du corps

j'y vois de la hauteur presqu'au niveau du toit

j'y vois des lignes comme fleuves

ou comme des arbres

luisants

 

elle vient parfois

- certains jours -

constante et obstinée me dire des pensées secrètes

me dire qu'elle me protège

comme si de tous les linéaments du corps exudait une odeur d'écorce

que j'aurais ainsi

dans la maison de ma pensée

 

et qui resterait là

longtemps

 

 

 

 

 

 

 

 



26/02/2023
0 Poster un commentaire