L\'Insoluble

L\'Insoluble

Soutenance de thèse

 

Me suis glissée dans la salle. Difficile. Mal de tête.

 

 

Je me demande, peut-on appliquer un modèle de point-source si on est en champ proche ? Si près ?  Quelles différentes formes prennent toutes ces fonctions de Green ? C’est exactement quoi, ce truc ? J’ai bien compris leur empirisme génial, par contre : déconvoluer ce qui est de la propagation par deux événements sur le même site, et comme ça on n’aura plus que la source. Pourquoi n’ai-je pas entendu du tout parler de modèle de vitesse ? Mais, stupide, tu n'en entends pas parler parce que justement on utilise les fonctions de Green. Courbe après courbe, simulation après simulation. Quelles simulations ? Pourquoi le code n’est-il pas susceptible de placer des barrières à d’autres endroits qu’au centre de la faille, quand on est en source étendue ? Vitesse de rupture, toujours la même, est-ce réaliste ? Et la chute de contrainte ? Est-ce qu’un jour, avant que je meure, quelqu’un va pouvoir me dire si la chute de contrainte peut être considérée presque comme constante ou bien elle dépend de la magnitude ?

 

Instant de rage : je vais passer du temps à chercher cela toute seule, encore une fois. Demande d’explication teigneuse : Ce laboratoire est-il spécialisé en sismologie ? Oui.

A-t-on de la sismologie dans les premières années de master ? Non.

Même en géophysique ? Même en géophysique.

Pourquoi ?

Je sais bien, pourquoi, je me dis : parce que la sismologie est réservée aux physiciens, mécaniciens. Exit les autres. Faites place. OK.

Ma petite voix pacifique me répète, allons, allons, du calme, tu sais bien que dans la vie on ne peut jamais ou presque jamais choisir la voie dans laquelle on va être jugé et évalué, et cette question-là est du même acabit. Remercie, déjà, de tout ce que tu approches…

 

Mais soudain, quelque chose d’éminemment étrange arrive. Le doctorant a changé de voix. Il parle maintenant de manière très grave, avec une intensité très faible. Unique moment dans cette soutenance où il semble vulnérable, presque terrifié. C’est la fin, et le président du jury vient de poser sa question : un homme chaleureux, pourtant, adorable, simple. Mais la question, et la discussion qui suit semblent être presque les seules question et discussion. Le seul moment où le doctorant craint ce qu’on lui dit, redoute le jugement. Car malgré le ton calme et souriant, le jugement s’est énoncé, partiel bien sûr, d’immenses compliments viennent le contrebalancer, probablement sincères.

 

Du coup j’en oublie mes bavardages avec moi-même, au-dedans. Je suis fascinée. Je n’écoute plus que cet extraordinaire phénomène sonore :

Un doctorant bientôt docteur qui, par un simple changement de fréquence et d’intensité, par la sortie brutale et littérale du rôle de charmeur qu’il avait adopté, vient de rendre le plus grand hommage qui soit à la science et à la compétence d’un autre homme, en face de lui.

 

Celui de la crainte et de l’attention.



16/10/2015
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